Présentation du projet de loi de programmation de la recherche 2021-2030
Cette année 2020, dans un contexte de crise sanitaire sans précédent, les enjeux de la vaccination et du dépistage apparaissent évidents. Ils démontrent plus que jamais la nécessité de s’engager pour la recherche et la prévention. Au lendemain de son adoption, le projet de loi de programmation de la recherche 2021-2030 constitue une opportunité pour apporter une réponse durable à cette ambition et aux nouveaux défis de la Santé publique.
Le projet de loi poursuit trois ambitions principales : mieux financer et évaluer la recherche publique, améliorer l’attractivité des métiers de la recherche et replacer la science dans une relation ouverte avec toute la société.
Le Professeur Philippe Berta, généticien, Député du Gard et Rapporteur du projet de loi à l’Assemblée Nationale, nous a présenté ces travaux et a répondu aux questions des participants.
Stéphanie Pistre, fondatrice du Cabinet Pistre et coordinatrice du Club Acteurs de la Prévention, introduit l’échange en rappelant l’engagement fort du Professeur Berta pour promouvoir la recherche en France. L’importance de la recherche est d’autant plus évidente dans le contexte de fragilité sanitaire que nous vivons depuis mars dernier.
Au lendemain de l’adoption du projet de loi de programmation de la recherche 2021-2030, le Professeur Philippe Berta nous a fait l’honneur de présider cette rencontre et de nous exposer les principaux axes sur lesquels cette loi repose.
Un modèle basé sur l’ « open innovation »
Dans un premier temps, il rappelle l’importance d’avoir conscience de l’état actuel de l’écosystème industriel en santé : « les Big pharma ont plus ou moins déserté le monde de la recherche, parce qu’ils ont saisi le potentiel des entreprises biotech à développer des produits innovants ».
En effet, depuis l’envolée des entreprises dites de biotechnologie (communément appelées biotech), le modèle économique des grands laboratoires pharmaceutiques a changé. Pour des raisons stratégiques multiples, ils promeuvent un modèle dit d’innovation ouverte ou « open innovation » consistant, pour une entreprise, à penser son innovation et sa R&D, non plus d’un point de vue exclusivement interne, mais en intégrant des collaborations extérieures.
Les Big pharma attendent qu’une innovation ou un produit ait atteint une certaine maturité, avant d’en faire l’acquisition (par rachat du produit ou de la biotech entière). C’est un modèle qui satisfait les deux parties : il donne aux laboratoires pharmaceutiques l’accès à l’innovation, en contrepartie de moyens budgétaires et organisationnels pour les biotech, afin de poursuivre les étapes coûteuses de recherche clinique et de commercialisation. Il cite pour exemple type et actuel, celui de la collaboration entre le géant pharmaceutique américain Pfizer et la biotech allemande BioNTech pour le développement du vaccin anti-covid19 à ARN.
Une recherche française nécessaire, et pourtant mise à mal
Le Professeur Berta évoque ensuite le sujet de la recherche académique en France. Selon lui, « la recherche en santé est une recherche qui a été mise à mal ces 10-15 dernières années. La traduction de ce phénomène est même chiffrée, à travers le nombre de publications scientifiques. » La part de la France dans les publications mondiales a baissé. Nous sommes passé du 5e au 8e rang mondial, en terme du nombre de publications. Les Etats-Unis et la Chine représentent plus du tiers des publications (respectivement 680 000 et 470 000) contre environ 100 000 pour la France. Plus encore, la France ne figure plus qu’en 12e position dans les pays de l’OCDE, alors qu’elle occupait la 4e place en 1992, rappelle le Conseil économique, social et environnemental (Cese). Ceci constitue selon Philippe Berta « un véritable signal d’alerte ».
Il avance également que « pour avoir un système économique sain, il est essentiel de soutenir la recherche. La diminution de la place de la recherche en France met en péril notre économie ».
L’un des principaux biais s’explique par le fait que la recherche en santé est « éclatée en de nombreuses structures » : des acteurs privés et surtout publics multiples comme l’Université, les Centres Hospitaliers Universitaires, les Instituts (CNRS, INSERM, IRD, CEA, Pasteur etc.). Ce système tubulaire a pour conséquence un manque de transversalité. Il ne s’agit pas selon lui de remettre en cause l’existence de ces établissements publics. Il est simplement question ici de faire un constat, et de réfléchir à comment fluidifier les échanges entre toutes ces structures. Ceci est essentiel pour améliorer la visibilité des travaux de recherches et ainsi contribuer à l’innovation.
Ce constat a permis en janvier 2019, sous l’initiative du Président de la République et du Gouvernement, de repenser la recherche publique. Le Professeur Berta nous expose les différents travaux auxquels il a participé, centrés sur trois aspects essentiels de la loi : améliorer l’attractivité des métiers de la recherche, mieux financer et évaluer la recherche publique, et replacer la science dans une relation ouverte avec toute la société.
Redonner de l’attractivité aux métiers de la recherche
« Si l’on considère que la recherche est le point de départ de nombreuses activités humaines, il faut alors faire en sorte d’y attirer de bons cerveaux ». Il souligne qu’aujourd’hui, l’essentiel des effectifs des chercheurs vient du monde universitaire.
Alors comment donner l’appétence de ces métiers à des profils issus d’écoles d’ingénieurs ou encore des métiers du médical ?
Revalorisation salariale
L’une des réponses évidentes est l’attraction salariale. Le professeur explique : l’âge médian d’un chercheur en âge de recrutement est de 34-35 ans. Ceci s’explique par la nature du parcours à effectuer : doctorat (bac+8) et post-doctorat(s) qui peuvent amener à un profil bac+14. Le salaire médian est alors à 64% de celui de l’OCDE. Il est compréhensible qu’un salaire mensuel avoisinant 2000 euros net soit difficilement acceptable à ce niveau d’études.
La programmation pluriannuelle de la recherche (PPR) donne une projection des recrutements et des salaires sur 10 années. C’est une première en France, puisqu’avant, les lois de programmation se projetaient sur 5 ou 7 ans. La loi intègre par ailleurs la revalorisation des salaires dès 2021, et ce jusqu’en 2031.
Augmentation de l’offre de thèses
Le professeur évoque également la volonté de revalorisation des bourses de thèses, et notamment des thèses Cifre (conventions industrielles de formation par la recherche). Ce dispositif encore trop méconnu permet à l’entreprise de bénéficier d’une aide financière pour recruter un jeune doctorant dont les travaux de recherche, encadrés par un laboratoire public de recherche, conduiront à la soutenance d’une thèse. En 2021, l’objectif est donc d’augmenter de 20% le nombre de thèses financées et de multiplier par deux le nombre de Cifre.
Attirer les chercheurs sur le sol français
De trop nombreux français migrent pour effectuer un post-doctorat. Il est vrai que le type de contractualisation de ces postes constitue un frein supplémentaire à la recherche en France.
Un contrat à durée déterminée (CDD) est créé pour donner un statut aux jeunes chercheurs pendant leurs périodes post-doctorales, mais aussi d’en attirer de pays tiers.
Le nouveau projet de loi, prévoit aussi un « contrat à durée indéterminée de mission scientifique », permettant aux établissements publics de recherche et d’enseignement supérieur ou aux établissements publics à caractère scientifique et technologique de conserver de jeunes chercheurs pour mener à leurs termes des projets de recherche. Ces contrats se termineraient ainsi fin à la fin du projet en question sans durée précisée, permettant au chercheur la pleine valorisation du travail accompli, et le temps nécessaire pour la recherche d’un poste public ou privé.
Une nouvelle voie de recrutement, des contrats de pré-titularisation, pour les directeurs de recherche et les professeurs des universités est également instituée : “les chaires de professeurs juniors” (sur le modèle des « tenure tracks » anglo-saxons ou germaniques). Le but de cette mise en œuvre est de « maintenir » les jeunes talents français sur le territoire en leur offrant un contrat et un financement pour leur mission de recherche. Si ladite mission est remplie, le jeune chercheur accèdera à un poste de professeur senior programmé dès son recrutement initial.
Rendre accessible l’information scientifique
Enfin, pour introduire un dernier axe du projet de loi le professeur rappelle : « qu’il est temps d’utiliser mieux nos chercheurs et de leur permettre de diffuser l’information scientifique. Une population qui n’est pas renseignée est une population qui a peur. »
Un autre volet de la loi concerne donc la diffusion de l’information scientifique, notamment dans le but de contrer l’effet négatif sur la population de la diffusion de « fake news ». Pour ce faire, l’agence nationale de la recherche (ANR) qui voit son budget considérablement augmenté, dédiera 1% de ce dernier à la culture scientifique et à sa vulgarisation.
Le professeur conclut sur des propos concernant notre quotidien depuis bientôt un an :
« La pandémie actuelle est une parfaite démonstration de la cacophonie provoquée par la diffusion anarchique d’informations mais aussi par le manque de transversalité de la recherche. » C’en est une traduction non seulement française, mais aussi européenne et mondiale. Pour accélérer la R&D et la recherche clinique, il souligne : « il faut réfléchir à une vraie démarche et coopération européenne. Il faut dissocier ce qui reste de l’ordre de l’État et ce qui nécessite une réflexion à l’échelle européenne. Pour la production de 7 milliards de doses de vaccin de contre la Covid-19, c’est clairement de l’ordre de l’Europe, voir du monde ».
Compte-rendu du rendez-vous connecté du jeudi 26 novembre, rédigé par Camille Bernard
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